samedi 17 janvier 2009

2. Consolation à M. Du Périer


François de Malherbe (1555 1628) nacquit à Caen, d'une famille d'épée tombée dans la robe. Ses études de droit finies, il quitta la Normandie pour faire fotune; il prit l'épée et s'attacha comme secrétaire au lieutenant du gouverneur de Provence, Henri d'Angoulême.

Il se maria en 1581. Il maniait la plume aussi bien que l'épée.Peut être s'est-il brillamment conduit pendant les guerres de religion. Ilécrivait dans le goût du temps des vers spirituels et pédants. En 1605, grâce à la protection de Jacques Du Perron, il vint à Paris et plut au roi Henri IV qui le donna à Monsieur de Bellegarde.

Mais venu tard à la poésie, il chercha à rattraper le temps perdu en célébrant les exploits des rois Henri IV puis Louis XIII dont il fut une sorte de poète officiel. Il eut la plus grande influence sur la poésie française du XVII ème siècle en luttant contre les excès de l'imagination et en soumettant le vers à de nombreuses contraintes, créatrice de beauté.


Il adresse cette Consolation, publiée en 1607, à François du Périer, avocat au Parlement d'Aix, qui avait perdu sa fille Marguerite âgée de cinq ans. Il exhorte Du Périer à un retour à la raison, à une sorte de résignation. La mort est inéxorable, ne respecte personne et frappe sans tenir compte de l'âge; la vie est fragile; tout le monde doit mourir, qu'il soit jeune ou vieux, riche ou pauvre. Et le chrétien doit se résigner et accepter toute décision divine.

Consolation à Monsieur Du Périer
Gentilhomme d'Aix en Provence
Sur la mort de sa fille

Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront tousjours!


Le malheur de ta fille au tombeau descenduë
Par un commun trespas,
Est-ce quelque dedale où ta raison perduë
Ne se retreuve pas?


Je sçay de quels appas son enfance estoit pleine,
Et n'ay pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mespris.


Mais elle estoit du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin,
Et rose elle a vescu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.


Puis quand ainsi seroit, que selon ta priere,
Elle auroit obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carriere,
Qu'en fust-il advenu?


Penses-tu que, plus vieille, en la maison celeste
Elle eust eu plus d'accueil?
Ou qu'elle eust moins senti la poussiere funeste
Et les vers du cercueil?


Non, non, mon Du Périer, aussi-tost que la Parque
Oste l'ame du corps,
L'âge s'évanoüit au deça de la barque,
Et ne suit point les morts.


Tithon n'a plus les ans que le firent cigale,
Et Pluton aujourd'huy,
Sans égard du passé, les merites égale
D'Archemore et de luy.


Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes,
Mais sage à l'advenir,
Aime une ombre comme ombre, et de cendres esteintes
Esteins le souvenir.


C'est bien, je le confesse, une juste coustume,
Que le coeur affligé,
Par le canal des yeux vuidant son amertume,
Cherche d'estre allegé.


Mesme, quand il advient que la tombe separe
Ce que nature a joint,
Celuy qui ne s'esmeut a l'ame d'un barbare,
Ou n'en a du tout point.


Mais d'estre inconsolable, et dedans sa memoire
Enfermer un ennuy,
N'est-ce pas se hayr pour acquerir la gloire
De bien aimer autruy ?


Priam, qui vit ses fils abbatus par Achille,
Desnué de support,
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Receut du reconfort.


François, quand la Castille, inégale à ses armes,
Luy vola son Dauphin,
Sembla d'un si grand coup devoir jetter des larmes
Qui n'eussent point de fin.


Il les secha pourtant, et comme un autre Alcide
Contre fortune instruict,
Fit qu'à ses ennemis d'un acte si perfide
La honte fut le fruict.


Leur camp, qui la Durance avoit presque tarie
De bataillons espais,
Entendant sa constance eut peur de sa furie,
Et demanda la paix.


De moy, desja deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus,
Et deux fois la raison m'a si bien fait resoudre
Qu'il ne m'en souvient plus.


Non qu'il ne me soit grief que la tombe possede
Ce qui me fut si cher;
Mais en un accident qui n'a point de remede,
II n'en faut point chercher.


La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles:
On a beau la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.


Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses loix,
Et la garde qui veille aux barrieres du Louvre
N'en défend point nos rois.


De murmurer contr'elle et perdre patience,
II est mal à propos:
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos.




En Français moderne pour ceux qui ont du mal avec la langue du 17ème siècle.

Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours


Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?



Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n'ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.


Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.


Puis quand ainsi serait, que selon ta prière,
Elle aurait obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il advenu?



Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil ?
Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?


Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
Ote l'âme du corps,
L'âge s'évanouit au deçà de la barque,
Et ne suit point les morts...



Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale :
Et Pluton aujourd'hui,
Sans égard du passé les mérites égale
D'Archémore et de lui.


Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes :
Mais songe à l'avenir,
Aime une ombre comme ombre, et de cendres éteintes,
Eteins le souvenir.


C'est bien je le confesse , une juste coutume,
Que le coeur affligé
Par le canal des yeux vidant son amertume
Cherche d'être allégé.


Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que Nature a joint,
Celui qui ne s'émeut pas à l'âme d'un Barbare,
Ou n'en a du tout point.


Mais d'être inconsolable ,et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
de bien aimer autrui ?

Priam, qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.


François, quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son Dauphin,
Sembla d’un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n’eussent point de fin.


Il les sécha pourtant, et comme un autre Alcide
Contre fortune instruit,
Fit qu’à ses ennemis d’un acte si perfide
La honte fut le fruit.


Leur camp, qui la Durance avait presque tarie
De bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de sa furie
Et demanda la paix.


De moi, déjà deux fois d’une pareille foudre
Je me suis vu perclus,
Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre
Qu’il ne m’en souvient plus.


Non qu’il ne me soit grief que la terre possède
Ce qui me fut si cher;
Mais en un accident qui n’a point de remède,

Il n'en faut point chercher.



La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles:
On a beau la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.


Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses loix,
Et la garde qui veille aux barrieres du Louvre
N'en défend point nos rois.


De murmurer contr'elle et perdre patience,
II est mal à propos:
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos.



http://www.litteratureaudio.com/Francois_de_Malherbe_-_Consolation_a_Du_Perier.mp3


2 commentaires:

  1. Une bonne idée!
    Un régal
    Bisous

    RépondreSupprimer
  2. enfin quelqu'un qui aime Malherbe, moi aussi, je ne le trouve pas "froid" ni "sec" comme on le dit parfois
    c'est très sonore et sensoriel au contraire
    https://www.youtube.com/watch?v=L-yi0r_7cOw

    RépondreSupprimer