mardi 24 février 2009

Epître VI de Nicolas Boileau: "c'est là cher Lamoignon..."

Nicolas Boileau (1631- 1711), appelé de son vivant Despréaux, naquit et vécut à Paris. Il fit son droit, mais se consacra à la poésie. Il tient une grande place dans l'histoire littéraire par l'exposé qu'il fit dans l'art poétique(1674), des principes adoptés par les meilleurs écrivains de son temps.
Mais il a aussi écrits des Satires, des Epîtres, un poème burlesque, Le Lutrin et des ouvrages de proses appréciables.

Boileau séjourne sur les bords de la Seine, à Haute-Isle, dans le Vexin, chez son neveu Dongois! dans l'Epître VI, adressée en 1677 à son ami Monsieur d Lamoignon, avocat général au Parlement de Paris, il expose les joies qu'il y trouve, pour justifier son absence prolongée.


EPISTRE 6




À Monsieur De Lamoignon,
Avocat general.
Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,
Et contre eux la campagne est mon unique azile.
Du lieu qui m' y retient veux-tu voir le tableau?
C' est un petit village, ou plûtost un hameau,
Basti sur le penchant d' un long rang de collines,
D' où l' oeil s' égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine au pié des monts que son flot vient laver
Voit du sein de ses eaux vingt isles s' élever,
Qui partageant son cours en diverses manieres,
D' une riviere seule, y forment vingt rivieres.
Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,
Et de noyers souvent du passant insultés.
Le village au-dessus forme un amphitheâtre.
L' habitant ne connoist ni la chaux ni le plastre,
Et dans le roc qui cede et se coupe aisément,
Chacun sçait de sa main creuzer son logement.
La maison du seigneur seule un peu plus ornée
Se presente au dehors de murs environnée:
Le soleil en naissant la regarde d' abord,
Et le mont la deffend des outrages du nord.
C' est-là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon bornant tous mes desirs,
J' achete à peu de frais de solides plaisirs.
Tantost, un livre en main, errant dans les prairies,
J' occupe ma raison d' utiles rêveries.
Tantost cherchant la fin d' un vers que je construy,
Je trouve au coin d' un bois le mot qui m' avoit fuy.
Quelquefois aux appas d' un hameçon perfide,
J' amorce en badinant le poisson trop avide;
Ou d' un plomb qui suit l' oeil, et part avec l' éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l' air.
Une table au retour propre et non magnifique
Nous présente un repas agreable et rustique.
Là, sans s' assujettir aux dogmes du Broussain,
Tout ce qu' on boit est bon, tout ce qu' on mange est sain.
La maison le fournit, la fermiere l' ordonne,
Et mieux que Bergerat l' appetit l' assaizonne.
Ô fortuné séjour! ô champs aimés des cieux!
Que pour jamais foulant vos prés delicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous seuls, oublier tout le monde!
Mais à peine, du sein de vos vallons cheris
Arraché malgré moi, je rentre dans Paris,
Qu' en tous lieux les chagrins m' attendent au passage.
Un cousin abusant d' un fâcheux parentage,
Veut qu' encor tout poudreux, et sans me débotter,
Chez vingt juges pour lui j' aille solliciter;
Il faut voir de ce pas les plus considerables.
L' un demeure au Marais, et l' autre aux Incurables.
Je reçois vingt avis qui me glacent d' effroy.
Hier, dit-on, de vous on parla chez le roy,
Et d' attentat horrible on traita la satire.
Et le roy, que dit-il? -le roy se prit à rire.
Contre vos derniers vers on est fort en courroux:
Pradon a mis au jour un livre contre vous,
Et chez le Chappelier du coin de nostre place
Autour d' un caudebec j' en ay lû la préface.
L' autre jour sur un mot la cour vous condamna.
Le bruit court qu' avant-hier on vous assassina.
Un écrit scandaleux sous vostre nom se donne.
D' un pasquin qu' on a fait, au Louvre on vous soupçonne.
Moy? Vous. On me l' a dit dans le Palais Royal.
Douze ans sont écoulez, depuis le jour fatal,
Qu' un libraire imprimant les essais de ma plume,
Donna, pour mon malheur, un trop heureux volume;
Toûjours depuis ce temps en proye aux sots discours,
Contre eux la verité m' est un foible secours.
Vient-il de la province une satire fade,
D' un plaisant du païs insipide boutade;
Pour la faire courir on dit qu' elle est de moi:
Et le sot campagnard le croit de bonne foi.
J' ay beau prendre à témoin et la cour et la ville.
Non, à d' autres, dit-il, on connoist votre stile.
Combien de temps ces vers vous ont-ils bien cousté? -
Ils ne sont point de moi, monsieur, en verité.
Peut-on m' attribuer ces sottises étranges?
Ah! Monsieur, vos mépris vous servent de loüanges.
Ainsi de cent chagrins dans Paris accablé,
Juge, si toûjours triste, interrompu, troublé,
Lamoignon, j' ay le temps de courtiser les muses.
Le monde cependant se rit de mes excuses,
Croit que, pour m' inspirer sur chaque evenement,
Apollon doit venir au premier mandement.
Un bruit court, que le roi va tout reduire en poudre,
Et dans Valencienne est entré comme un foudre;
Que Cambray des François l' épouventable écueil
A veu tomber enfin ses murs et son orgueil:
Que devant Saint-Omer Nassau par sa défaite,
De Philippe vainqueur rend la gloire complete.
Dieu sçait, comme les vers chés vous s' en vont couler,
Dit d' abord un ami qui veut me cajoler,
Et dans ce temps guerrier, et fecond en Achilles
Croit que l' on fait des vers, comme l' on prend des villes.
Mais moi, dont le genie est mort en ce moment,
Je ne sçai que répondre à ce vain compliment:
Et justement confus de mon peu d' abondance,
Je me fais un chagrin du bonheur de la France,
Qu' heureux est le mortel, qui du monde ignoré,
Vit content de soi-mesme en un coin retiré!
Que l' amour de ce rien qu' on nomme renommée,
N' a jamais enyvré d' une vaine fumée,
Qui de sa liberté forme tout son plaisir,
Et ne rend qu' à lui seul compte de son loisir!
Il n' a point à souffrir d' affronts ni d' injustices,
Et du peuple inconstant il brave les caprices.
Mais nous autres faiseurs de livres et d' écrits,
Sur les bords du Permesse aux loüanges nouris,
Nous ne sçaurions briser nos fers et nos entraves;
Du lecteur dédaigneux honorables esclaves,
Du rang où nostre esprit une fois s' est fait voir,
Sans un fâcheux éclat, nous ne sçaurions déchoir.
Le public enrichi du tribut de nos veilles,
Croit qu' on doit ajoûter merveilles sur merveilles.
Au comble parvenus il veut que nous croissions:
Il veut en vieillissant que nous rajeunissions.
Cependant tout décroist, et moi-mesme à qui l' âge
D' aucune ride encor n' a flétri le visage,
Déja moins plein de feu, pour animer ma voix,
J' ai besoin du silence et de l' ombre des bois.
Ma muse qui se plaist dans leurs routes perduës,
Ne sçauroit plus marcher sur le pavé des ruës.
Ce n' est que dans ces bois propres à m' exciter,
Qu' Apollon quelquefois daigne encor m' écouter.
Ne demande donc plus, par quelle humeur sauvage,
Tout l' esté loin de toy demeurant au village
J' y passe obstinément les ardeurs du lion,
Et montre pour Paris si peu de passion.
C' est à toy, Lamoignon, que le rang, la naissance,
Le merite éclatant, et la haute éloquence
Appellent dans Paris aux sublimes emplois,
Qu' il sied bien d' y veiller pour le maintien des loix.
Tu dois là tous tes soins au bien de ta patrie.
Tu ne t' en peux bannir que l' orphelin ne crie;
Que l' oppresseur ne montre un front audacieux;
Et Thémis pour voir clair a besoin de tes yeux.
Mais pour moy de Paris citoyen inhabile,
Qui ne luy puis fournir qu' un rêveur inutile,
Il me faut du repos, des prez et des forests.
Laisse-moy donc ici, sous leurs ombrages frais,
Attendre que septembre ait ramené l' automne,
Et que Cerès contente ait fait place à Pomone.
Quand Bacchus comblera de ses nouveaux bienfaits
Le vendangeur ravi de ployer sous le faix,
Aussi-tost ton ami redoutant moins la ville
T' ira joindre à Paris, pour s' enfuir à Bâville.
Là, dans le seul loisir que Thémis t' a laissé,
Tu me verras souvent à te suivre empressé,
Pour monter à cheval rappelant mon audace,
Apprenti cavalier galopper sur ta trace.
Tantost sur l' herbe assis au pié de ces côteaux,
Où Polycrene épand ses liberales eaux,
Lamoignon, nous irons libres d' inquietude
Discourir des vertus dont tu fais ton étude:
Chercher quels sont les biens veritables et faux:
Si l' honneste homme en soi doit souffrir des defaux:
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vaste science, ou la vertu solide.
C' est ainsi que chez toy tu sçauras m' attacher.
Heureux! Si les fâcheux promts à nous y chercher,
N' y viennent point semer l' ennuyeuse tristesse.
Car dans ce grand concours d' hommes de toute espece,
Que sans cesse à Bâville attire le devoir;
Au lieu de quatre amis qu' on attendoit le soir,
Quelquefois de fâcheux arrivent trois volées,
Qui du parc à l' instant assiegent les allées.
Alors, sauve qui peut, et quatre fois heureux!
Qui sçait pour s' échapper quelque antre ignoré d' eux.



Ici http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89pitre_VI_(Boileau) une lecture en Français contemporain, mais je préfère la précédente.

3 commentaires:

  1. bonjour
    je viens de terminer un livre qui est edité
    en l'ecrivant je me suis apperçu que j"'avais oublié tous les classiques
    que me conseillez vous pour m'y remettre
    amicalement

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  2. Il vous est peut être possible avec votre éditeur de faire des rajouts, pour d'autres éditions...
    Ici vous l'aurez compris, il s'agit de mettre des textes, des lectures faites pendant ma scolarité; cela me permets aussi de les relire.

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  3. Oh!bé! Muse ! quel beau blog tu nous a ouvert là!!!
    je reviendrai te lire.
    merci de participer à notre érudition.
    gros bisous

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